Nuit.Sauvage
Theresa
Moïra
J.J
Frère J.
Cuisine / 3 spectateurs / 3 accompagnants (2 lecteurs – 1 bruiteur)
Le public pénètre dans la cuisine. Une odeur d’encens est saisissante. Avant même d’être installé autour des tables, Frère J commence soudainement à décrire son intérieur :
La radio est allumée en fond, il l’étend:
J.: Quand vous arrivé dans le bout de mon appartement, vous arrivé dans la cuisine. A côté du salon, pourquoi ? Parce que c’est l’attente chez les arabes. Notamment c’est là où l’on accueille les invités. Traditionnellement il y avait dans la tente, les tables de la Loi contenues dans l’Arche d’Alliance. Les hôtes sont sous la protection de celui qui les accueille. Donc à côté, vous avez dans mon salon, une partie sacramentalle qui est voué à la lecture spirituelle. Dans ce meuble est contenu différente chose que je ne vais pas décrire mais qui servent aux exorcismes grand et petit. Vous y trouvez des huiles saintes, du matériel liturgique, des livres spécifiques aux grands et petits exorcismes et voilà. D’habitude, ce meuble est préservé par une barrière en bois qui sépare le profane du sacré. Moi j’ai fait ça de manière simple avec un drapé mais pénétrez dans cette partie ce serait profaner les lieux et la croyance, en l’occurrence la foi catholique. A côté, vous avez un hôtel avec une croix. Cet hôtel est sacré, voué au culte. En dehors des images pieuses, il dispose d’objets sacrés. Vous avez également un oratoire qui me permet de me retrouver en lien avec le seigneur de manière singulière. Il faut être propre, apposer de l’eau et faire le signe de croix. Vous pouvez voir un hôtel avec des photos, des personnes sans abri, des personnes à la rue, des personnes qui me sont chères. Vous avez aussi un calice. Enfin vous avez le lectionnaire de l’église catholique et vous avez toute une série de prières pour les exorcismes et chasser tout ce qui est diabolique. Vous avez des reliques de Sainte Thérèse de Lisieux, des morceaux d’os et des morceaux de sa paillasse.
J boit bruyamment
On comprend peu à peu chez qui on est tombé. L’accompagnateur nous fait sentir qu’il y a des couverts, des assiettes et des verres vides. C’est un dîner forcé, sensoriel et étrange. J. parle seul, a des convives qui n’ont pas le droit de réponse. L’ambiance est accueillante mais se fait de plus en plus pesante au fil de la performance.
J.: Tout dépend des personnes qui sont autour de moi. Je pense qu’on est dans un cercle respectueux, bien qu’il y ait une certaine violation puisqu’on enregistre en ce moment. On fait confiance et on espère que ce sera respectueusement utilisé, auquel cas j’en appellerai à la providence du seigneur. Je ne vais rien omettre. Moi je m’appelle Frère J.. Je suis né dans une famille musulmane, Jordanienne et Sicilienne. Je suis né en Belgique. J’ai été élevé chez des religieuses, les filles de la Croix. J’ai été élevée chez elles de 0 à 21 ans. Vers 14 ans étant orphelin, j’ai vécu des choses difficiles dans une famille assez violente. Notamment de la violence très grave alors ses sœurs mon surprotégé, chouchouté.
Il n’y a pas eu de violence de la part des religieuses contrairement à ce qui se dit. Il y a des faits extrêmement graves au sein de l’église mais je dois dire que je n’ai pas vécu ça. J’ai quitté cette communauté pour m’envoler et je me suis retrouvé dans une situation très difficile parce que je sortais d’un couvent tenu par des sœurs, avec l’éducation qu’on connaît.
Vous imaginez bien que vous sortez de là, vous êtes pas du tout formaté, vous êtes couvé, vous êtes bien nourri, vous êtes surprotégé. Et puis ya le problème de la sexualité. On vous dit pas ce que c’est la sexualité. Vous imaginez bien qu’on ramène pas sa copine. Ça aussi j’ai aussi dû le découvrir moi même. Pour moi ça s’est bien passé mais pour d’autres très mal. J’espère que l’avenir va m’apprendre à me construire sur autre chose que ce qu’on m’a appris pendant mon enfance. Même si je suis catholique je pense que j’ai pu me défaire de ce formatage.
J’avais un très bon niveau scolaire et je me suis retrouvé seul, vivant dans la précarité alors a commencé pour moi un parcours de petit délinquant, notamment des vols, cambriolages dans des maisons. Je faisais partie d’un groupe important, on appellait ça une bande a l’époque, une bande de petits gamins délinquants. Je me suis jamais drogué, pas d’alcool non plus. Y avait un très grand manque d’affection, ce que je retrouvais au sein de cette bande. Ça m’a procuré beaucoup de bien être et une sécurité que je n’avais pas. J’ai estimé que c’était porteur, je me suis trompé.
J’ai fait un séjour en prison, pour des vols simples, mineurs. J’ai oublié de vous en parler. Je fuguais de l’orphelinat et je me retrouvais dans la ville, à la merci de pédophiles qui traînaient la nuit du côté du parc. J’étais en contact avec des vieux Belges, on dit ici. Des hommes d’une soixantaine, avocats, qui m’emmenaient chez eux. Heureusement, je suis très très intelligent, donc c’est plutôt moi qui dirigeait la chose. Y a eu certains attouchements, je pense, une ou deux pénétrations. En tout cas, c’était des faits pédophiles, j’ai jamais porté plainte, à l’époque je ne savais pas que ça existait la pédophilie. Enfin soit. Y a eu un gros travail sur moi même.
En prison, y a eu une vraie conversion et un suivi par les sœurs de Béthany. Elles m’ont apporté assistance. Également un cardinal que vous connaissez bien, qui a été fort médiatisé, je ne vais pas citer de nom par respect pour lui-même. Donc ce prélat m’a soutenu. J’ai été libéré donc me suis converti.
Changement d’odeur
J’ai été dépassé par la mission qui m’a été affectée, notamment de m’occuper des personnes vivant dans la rue et des personnes toxicomanes. Bien entendu, j’ai suivi une formation de trois jours. J’ai été en contact avec ce type de personnes mais je ne me drogue pas. Le problème c’est qu’il y a une violence trop forte, qui m’atteint trop fort et j’arrive pas a faire la part des choses. Je n’arrive pas a m’adapter au travail que j’ai a faire. Est-ce que des Frères de 18 ans, blond au yeux bleu comme on dit, vont pouvoir aborder une population aussi dangereuse ? Pour moi c’est non. Donc le projet il est en arrêt pour une réflexion avec des religieux plus anciens. Pour l’instant, je mets ma priorité sur des jeunes défavorisés mais qui ne viennent pas spécifiquement de la rue. Des jeunes qui ont connu les institutions. Je pense que je vais m’orienter là dedans.
Je suis dans une ville qui fait partie du bassin minier, une ville à la base de famille précarisé qui travaillait à la mine, une population italienne, marocaine, algérienne arrivé dans les années 50. C’était les seuls à accepter ce type de travail. Moi j’y ai grandi, c’était à l’époque une ville assez agréable, un petit village. Une épicière très gentille, un couvent, le boucher traditionnel. Les gens s’écoutaient, s’entraidaient. J’ai quitté cette ville à l’âge de 21 ans et j’y ai plus mis les pieds. Et puis maintenant, je viens de redécouvrir la ville. Et je suis complètement sous le choc de ce que je découvre. C’est une ville qui fait peur. On sent sur le visage des gens quelque chose d’agressif. Pas le fruit de mon imagination. Ici on voit des zombies. La ville est une ville de zombie, autant la nuit que la journée. Et le degré de délinquance a dépassé ce qui se passait dans les plus grands quartiers aux Etats-Unis. C’est effrayant, effrayant et moi ça me dépasse. Je me pose même des questions quant à mon intégration au sein de cette ville. Cette peur, c’est un peur de se balader, vous entendrez ma voix, je fais 1m88, j’ai de la boxe, je sais me défendre et honnêtement quand je me balade ici je panique. On peut recevoir des coups de couteaux, je me suis fait agressé trois fois. Même la population de journée est accostée par des dealers. Héroïne, cocaïne, ecstasy. Les drogues dures et voilà. C’est fait au yeux de la police, c’est ça le pire. La patrouille est à l’arrêt, le dealer échange la drogue au yeux de la police. Ça je n’ai jamais vu. Ils s’arrêtent et ne disent rien. C’est constant. Le pire c’est le désastre, les jeunes qui sont pris là- dedans. Des jeunes de bonne famille ou pas. Ces dealers se propagent du fait de cette impunité et puis ya cette violence qui l’accompagne, ça fait une immense communauté de toxicomanes. Une personne alcoolisée, sous héroïne et qui a des problèmes mentaux, vous imaginez bien si elle vous croise à une heure du matin, c’est pas pour vous faire un bisou. Maintenant tous ne sont pas comme ça, au moins une grosse moitié.
J’espère que je vais pouvoir garder cette optique de me dire que j’ai ma place ici et que je vais pouvoir faire quelque chose et si jamais des gens sont interpellés par ce que je dis, ils peuvent prendre contact avec les deux personnes qui m’enregistrent.
Moi j’ai fait le choix de pas attendre de soutien, sinon celui du seigneur. Et cette confiance, elle n’attend rien. Si demain j’ai pas a mangé, j’ai pas a mangé et c’est comme ça. On est dans un désert et dans un désert, ya des jours ou ya pas d’eau ou ya pas de vie, alors qu’il y a plein de vie dans le désert si on regarde bien. Donc moi voilà, je n’attends pas de soutien. Ce qui m’intéresse, c’est m’effacer pour pouvoir vivre pleinement mon contact avec celui qui souffre. S’effacer c’est pas une souffrance. On est dans une société ou s’effacer c’est négatif, il faut se montrer, être coloré. Il faut avoir de l’argent. Vous inquiétez pas je l’argent, je l’aime mais quand elle est bien utilisé. Voila.
Il sert du vin au convive..
Il fait une pause.
Comment je tiens ? Je tiens avec M. L’amour qu’il m’apporte. Je tiens par le silence. J’ai souvent besoin de moment de silence. Bien dormir. Avoir une hygiène.
Il boit et M aussi
M.: Mon père n’ était pas une personnes très bien. Ma mère m’a toujours rejeté parce que j’étais le fils de mon père. A 17 elle m’a mis à la porte. Je me suis toujours démerdé comme je pouvais. J’ai eu un appart. Mais comme c’était mon premier, j’étais pas habitué. J’ai pas payé mon loyer, je me suis fait mettre dehors. J’ai toujours eu un ami chez qui aller, un peu dehors ou un centre pour jeune, tout en essayant de suivre les cours mais c’était pas facile. Au final, je me suis retrouvé ici. Quand j’allais chez un pote, je mangeais chez lui de temps en temps, soit je mangeais pas ou je volais un peu de nourriture.
Plus d’une fois ça m’est arrivé de dormir dehors. J’allais souvent près d’une butte de terre avec des tuyaux de gaz ou à la gare.
J’ai perdu une amie qui était très importante pour moi en 2015. Je lui ai promis de jamais abandonner, quoi qu’il arrive.
Depuis que j’ai rencontré Frère J, moi je l’appelle J. C’est pas dans le cadre religieux qu’il m’aide, c’est plutôt dans le cadre humain. J’étais plus bas que terre et il m’a aidé à me relever et il est la figure paternelle que j’ai jamais vraiment eu. Je le vois plus comme le père que j’aurais dû avoir que comme le Frère J, le religieux. Il est prêt à aider les autres. Si il voit quelqu’un dans la rue, c’est d’abord l’autre avant lui même. Il est là pour soutenir, soutenir, soutenir, parfois il s’oublie un peu. C’est comme le père que j’aurais dû avoir.
J.: L’amour que je te donne. Qu’est-ce que ça te fait ? Du jour au lendemain. Qu’est-ce que ça déclenche chez toi ?
M.: Ça fait bizarre, j’ai toujours été rejeté partout. Je sais pas trop comment l’expliquer. C’est compliqué, j’ai jamais vraiment su c’était quoi. Je suis en train seulement de découvrir ce que c’est. J’ai jamais pensé pouvoir imaginer déjà donc je sais pas. A un moment, donné je savais même plus ce que ça voulait dire. Là ya tout qui vient d’un coup donc je sais pas l’expliquer.
J.: Tu me vois comme quoi ? Une religion catholique ?
M.: Je te vois pas comme un religieux, je te vois plus comme une personne humaine. Que comme les faux prêtres que l’on peut voir car ils sont juste là comme fonctionnaires. T’es comme une personne…. je sais pas comment développer.
J.: Avant de me connaître, l’image de que tu avais. Je suis un frère, c’est quoi la différence, et l’image que tu avais des religieux ?
- : Les frères et les curés de paroisses vivent reclus et séparés du monde.
J.: Et le curé qui accueille un petit jeune. Tu serais d’accord pour t’exprimer la dessus ?
- : Pas trop.
Silence.
J.: En peu de temps ya eu des enlèvement près de chez moi, ya eu des assassinats de religieux. D’une religieuse en habit, une vieille qui a été traînée je sais pas combien de mètres… même un demi centimètre peu importe…. Elle a été mise à terre, frappée. On parle aussi d’un violeur en série qui vient d’être arrêté. On parle de beaucoup de jeunes qui sont violés. Certains ont été séquestrés et violés. Voilà cette belle ville. Voilà ce qui s’y passe. Voilà, j’ai envie de réagir de manière ferme, de manière forte. Et j’en souffre énormément.
Est ce que vous imaginez votre enfant de 19 ans se balader dans cette ville ? Boire un verre entre amis ? Sur le chemin du retour, il est violé et ce garçon ne veut pas porter plainte. Qu’est-ce que je peux faire ? Je ne suis pas Superman. Priez avec moi ou pensez à moi. Voila.
Ils débarrassent la table ensemble et remettent la radio.